Connaissez vous l'histoire du premier tube mondial ?
Mon voisin Gilles m’a prêté une collection de DVD faite par le journal Le Monde. Désœuvrée par une après-midi de cet hiver particulièrement froid, j’ai regardé le film « Lili Marleen » racontant la célèbre histoire de cette chanson véritable premier best-seller mondial pendant la guerre de 1940.
Le film est assez médiocre et complétement incrédible, je suis donc allée chercher sur internet la vraie histoire et ai écouté toutes les versions de cette chanson que je n’ai pas arrêté de fredonner depuis. J’ai sans doute dû l’entendre bébé, car je l’adore.
Voici le résumé de l’histoire que je trouve passionnante, tant elle fait partie de ces surprises de la vie qui me réjouissent :
Le romancier et jeune soldat allemand de la Garde impériale Hans Leip a écrit Lied eines jungen Wachtpostens (en français « Chanson d'une jeune sentinelle ») à Berlin dans la nuit du 3 au 4 avril 1915 pendant la Première Guerre mondiale, avant son départ pour le front russe. Leip était amoureux de deux jeunes filles : Lili, nièce de sa logeuse, et Marleen, infirmière, qu'il a unies en une seule. Consigné à la caserne pour de nombreuses indisciplines, il déprime alors qu'il fait les cent pas en tant que sentinelle. Il écrit alors sur son lit de camp les trois premières strophes sur cet amour fugitif (il dessine en même temps une portée musicale sur son manuscrit) avant d'être envoyé sur le Front de l'Est. Il publie en 1937 un recueil, Le petit accordéon du port, avec les 5 strophes.
Selon une autre version de la genèse du poème, démentie depuis, Hans Leip était amoureux de Lily Freud (1888-1970), fille de Marie Freud, la sœur de Sigmund Freud. Hans Leip a admis avoir connu Lily Freud qui, en 1917, a épousé l'acteur et metteur en scène Arnold Marlé. Après ce mariage, Leip aurait composé un poème sur « Lily Marlé », devenu « Lili Marleen ». Lily Freud-Marlé disait elle-même être la « Lili Marleen » de la chanson, ce qui se raconte encore dans sa famille. L'hypothèse, parfois encore colportée, a été démentie définitivement par Rosa Sala Rose, qui a produit en 2008 la meilleure étude sur cette chanson, consacrant un chapitre à cette hypothèse pour conclure, documents à l'appui, qu'elle n'était pas fondée.
La chanson
D'abord un échec
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f4/Lilli_Marlene_1939.jpg/220px-Lilli_Marlene_1939.jpg
Version Electrola CE 6993/ORA 4198-2 de la Lili Marleen du 2 août 1939.
Quand en 1937 la chanteuse réaliste Lale Andersen découvre le poème de Hans Leip qu'il vient de publier dans un recueil de poésie (l'ayant complété des deux strophes qui évoquent la mort du jeune soldat), elle demande à son ancien amant le compositeur Rudolf Zink de le mettre en musique, une première version romantique, et interprète la chanson la même année dans des petits cabarets de Berlin et de Munich. En 1938, elle demande également au compositeur Norbert Schultze (avec lequel elle avait eu une aventure sans lendemain en 1932), de mettre lui aussi ce poème en musique, ce qu'il fait en lui fredonnant une mélodie qu'il avait créée deux ans plus tôt pour une publicité radiophonique pour le dentifrice Chlorodont, une mélodie plus martiale. Lale chante alternativement les deux versions dans les cabarets, elle préférait la première version plus douce mais testait les deux pour voir laquelle aurait plus les faveurs du public, mais c'est la deuxième, martiale, qui est enregistrée le 2 août 1939 pour le premier label allemand Electrola, et qui s'imposera pendant la Seconde Guerre mondiale. Leip se prononce comme Laillp et Lale entre Lalé et Laleu (Ps Lale Andersen serait en fait suédoise).
Cette chanson nostalgique, jugée par la critique « terne et sans rythme », est un échec commercial avant la guerre (seulement 700 exemplaires du disque vendus).
Les paroles en Français :
« Devant la caserne
Quand le jour s'enfuit,
La vieille lanterne
Soudain s'allume et luit.
C'est dans ce coin-là que le soir
On s'attendait, remplis d'espoir
Tous deux, Lily Marlène. (bis)
Et dans la nuit sombre
Nos corps enlacés
Ne faisaient qu'une ombre
Lorsque je t'embrassais.
Nous échangions ingénument
Joue contre joue bien des serments
Tous deux, Lily Marlène. (bis)
Le temps passe vite
Lorsque l'on est deux !
Hélas on se quitte
Voici le couvre-feu…
Te souviens-tu de nos regrets
Lorsqu'il fallait nous séparer ?
Dis-moi, Lily Marlène ? (bis)
La vieille lanterne
S'allume toujours
Devant la caserne
Lorsque finit le jour
Mais tout me paraît étranger
Aurais-je donc beaucoup changé ?
Dis-moi, Lily Marlène. (bis)
Cette tendre histoire
De nos chers vingt ans
Chante en ma mémoire
Malgré les jours, les ans.
Il me semble entendre ton pas
Et je te serre entre mes bras
Lily… Lily Marlène. (bis) »
Un succès inespéré en Allemagne nazie
En 1941, l'Allemagne est en pleine guerre sur plusieurs fronts et, changeant brusquement de statut, cette chanson d'amour va devenir une chanson de temps de guerre. Son succès commence le 18 août 1941 après que les bombardiers anglais aient détruit l'entrepôt de disques du lieutenant Karl-Heinz Reintgen, directeur de la radio militaire allemande de Belgrade. Celui-ci programme le disque alors au rebut, faute de mieux. Radio Belgrade était entendue jusqu'aux fronts d'Afrique du Nord et de Norvège. Les soldats de la Wehrmacht, éloignés de leurs foyers et de leurs amies, envoient alors des dédicaces qui sont lues lors d'une émission populaire. En raison de son succès, la chanson en devient l'indicatif qui clôt la fin du programme tous les soirs avant 22 heures.
Le succès est même tel que l'on s'y intéresse au Parti nazi. Joseph Goebbels semble être plutôt hostile à la chanson. Il dit, selon le compositeur Norbert Schultze, qu'elle « sent la danse macabre ». Mais elle bénéficie aussi du soutien de puissants protecteurs : le maréchal Erwin Rommel qui incite les radios à la programmer, jusqu'à 35 fois par jour à Radio Berlin, radio qui imite même l'émission de dédicaces de Radio Belgrade ; Emma Göring qui est la seconde épouse d'Hermann Göring et une ancienne chanteuse d'opéra ; Max Schmeling, boxeur idole des nazis, dont le biographe n'est autre que Hans Leip. Adolf Hitler aurait dit à son aide de camp que cette chanson pourrait même lui survivre.
Une nouvelle version de la chanson, transformée de chant d'amour en marche militaire, ne rencontre aucun succès public. L'affirmation selon laquelle les Einsatzgruppen l'auraient diffusée pendant leurs assassinats n'est pas prouvée, mais il est possible que la chanson ait accompagné les crimes, de même que les valses de Strauss et les symphonies de Mozart et de Beethoven utilisées dans les camps de la mort.
Lili devient un succès mondial
Grâce à la radio militaire allemande de Belgrade, cette chanson - ou du moins sa musique - franchit la Méditerranée. Elle est entendue et adoptée par les soldats alliés combattant en Tripolitaine. Ainsi, en 1942, l'émission dédiée aux dédicaces aurait, selon Jean-Pierre Guéno, entraîné quotidiennement un cessez-le-feu momentané, et une sorte de fraternisation entre les troupes anglaises et les troupes allemandes à Tobrouk, lorsque la chanson est diffusée dans les haut-parleurs, chaque soir à 22 heures, après les combats. Pour les belligérants et les civils des deux camps, elle devient l'hymne de la Seconde Guerre mondiale, adopté et chanté en allemand par beaucoup de soldats jusqu'au printemps 1944.
En quelques mois, la chanson est traduite en 43 langues. En 1942, on vend 160 000 exemplaires du disque et, en l'espace de six mois, la chanson est adaptée dans 48 langues. L'amour et la nostalgie de la paix sont des sentiments mieux incarnés par les soldats des démocraties que par ceux qui servent la cause hitlérienne. Les paroles françaises, dues à Henri Lemarchand, sont écrites à la fin de 1941 à la demande de Suzy Solidor, qui crée la version française dans son cabaret « La Vie parisienne » en janvier 1942. L'armée britannique se voit contrainte de faire produire une version anglaise en mai 1943 (après que Goebbels a fait enregistrer par Lale Andersen la chanson adaptée en anglais afin de démoraliser les Alliés), dont les interprétations par Anne Shelton et Vera Lynn en 1943 ont connu un succès fulgurant. À la suite de l'immense succès de la version américaine interprétée en swing par les Andrew Sisters et le big band (grand orchestre) de Glenn Miller, les Américains profitent de la Libération pour récupérer les droits de la chanson. L'actrice et chanteuse antinazie Marlène Dietrich finit ainsi, vers la fin de la guerre en 1944, par donner une version américaine, plus langoureuse, mais aussi plus énergique, puisque cette fois, dans la dernière strophe, le souvenir de la femme aimée redonne courage au soldat (qui meurt, enfoui dans sa tranchée, dans la dernière strophe du chant allemand !) Dietrich l'interprète dans plus de 60 concerts donnés au cours de la campagne d'Europe qui la voit accompagner la 3e armée américaine du général Patton. Cette chanson devient dès lors attachée à sa personnalité, Marlène Dietrich se l'appropriant en modifiant les paroles, lui donne son nom, Lily Marlène, (et cette orthographe) en fait la chanson de la libération.
Elle en fait une chanson vedette de son récital lorsqu'elle s'investit dans sa carrière de chanteuse, en 1953. Elle l'abandonne parfois, notamment en France, jugeant qu’elle « peut réveiller un bruit de bottes pour certains spectateurs ». Elle fut interdite dans beaucoup de dictatures car rappelant qu'elle était chantée des deux côtés.
Chanson subversive de résistance, car transcendant les clivages, la chanson est interdite dans plusieurs pays totalitaires (RDA, Yougoslavie de Josip Broz Tito) et devient l'hymne anti-nucléaire pendant la Guerre froide. La chanson connaît depuis de nombreuses versions, depuis l'allure pacifiste d'antimilitaristes, l'adaptation punk du groupe Interterror (Adios Lili Marleen) ou rock par La Souris Déglinguée en 1983.
En 2005, pour la commémoration du 60e anniversaire du débarquement de Normandie, la chanteuse Patricia Kaas doit la chanter en Mondovision mais les Polonais mettent un veto au choix de cette chanson la veille de l'événement, en raison de l'épisode des Einsatzgruppen, lui préférant l’Hymne à l'amour.
Pour l'écrivain John Steinbeck, Lili Marleen est « la seule chose que l'Allemagne nazie ait apportée au monde ».
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