Le Point a publié un dossier sur Nietzsche par Michel Onfray qui a parfaitement décrit les concepts majeurs de la pensée de ce philosophe, précurseurs de ceux de Sigmund Freud.
Article du Point : « Précisons les pensées majeures de Nietzsche.
La mort de Dieu :
Nietzsche l’annonce : il est mort, il nous faut désormais penser et vivre sans lui ou n’importe quoi qui lui ressemble. Dès lors, contentons-nous du monde donné et récusons les arrières-mondes, ces fictions avec lesquelles le judéo-christianisme nourrit sa morale de la haine du corps, des désirs, des pulsions, des instincts, des passions, de la sexualité, en un mot : de la vie. Il n’y a pas de vie après la mort, donc ni enfer ni paradis.
Le nihilisme européen :
puisque Dieu est mort, tout se vaut, tout est permis, tout est possible –ce qui ne veut pas dire que tout est souhaitable-.
L’éternel retour :
Vérité ontologique selon Nietzsche. On ne doit pas lire le temps à la façon des chrétiens qui le pensent, comme une flèche, avec un passé, un présent et un futur et une impossibilité, pour ce qui a eu lieu, d’avoir lieu à nouveau. Hier, aujourd’hui, demain sont des catégories inadéquates pour penser le monde. Le temps n’est pas linéaire mais cyclique. Ce qui a lieu à l’instant où l’on parle, le chant d’un oiseau, l’aboiement d’un chien, l’araignée qui tisse sa toile, tout cela se répétera dans le détail. Il n’y aura pas un oiseau qui chantera à nouveau un chant, mais cet oiseau qui chante a déjà chanté ce chant et rechantera éternellement ce même chant. Pour Nietzsche, on n’échappe pas à cette éternelle réitération.
Le surhomme :
Il n’est pas du tout susceptible d’une lecture sociologique ou politique, contresens majeur … Il s’agit d’un concept ontologique : connaître la volonté de puissance, la vouloir, l’aimer et jouir de cet amour que Nietzsche nomme l’Amor Fati, l’amour de son destin – voilà ce qui définit le surhomme, qui peut être une sur-femme, bien sûr …
Le surhomme dit un grand oui à l’existence, à tout de la vie, puisqu’il n’y a pas d’autre choix. Il ne dit pas oui au bien et non au mal, oui à la jubilation et non à la souffrance, car il ne dispose pas de la possibilité de ne pas vouloir ce qui advient. Dès lors, il faut dire oui à la vie et à la mort.
La transvaluation des valeurs :
La mort de Dieu et le nihilisme européen invitent à penser et vivre le monde sans Dieu – sans Dieux. Les valeurs judéo-chrétiennes célèbrent la mort : idéal ascétique, chasteté, continence, tempérance. Le christianisme invite à imiter un ange sans sexe, Jésus, un cadavre supplicié, le Christ et, pour les femmes, une Vierge qui enfante, Marie. Ces prescriptions ne peuvent que générer frustrations et insatisfactions. La morale des esclaves négateurs de la vie qui, ligués, ont vaincu les maîtres amoureux de vie, est morale de vengeance contre la santé, éthique de ressentiment contre ce qui veut la vie. L’inversion des valeurs suppose qu’on veuille la vie qui nous veut. Ce vouloir du vouloir conduit dans la clairière ontologique de la joie, de la béatitude.
Volonté de puissance :
Le terme n’apparaît que tardivement dans « Ainsi parlait Zarathoustra ». Ni désir de domination ni aspiration au pouvoir, elle est un processus d’accroissement et d’accomplissement, d’ « être plus », une façon de « devenir soi-même ».
Les trois métamorphoses :
« Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant".
Pour moi, ces trois métamorphoses ne sont que l’expression imagée du concept freudien « le ça, le surmoi et le moi » et de l’évolution espérée en psychanalyse. « Se libérer de son surmoi pour laisser la place au moi et au ça, pour une vie d’adulte sereine et équilibrée entre plaisirs et responsabilités ».
Si Nietzsche est arrivé à ces concepts, c’est que son histoire personnelle était chargée de traumatismes que son intelligence a essayé de surmonter : un cas de résilience exemplaire qui a fléchi quand, en fin de vie, il a basculé dans la folie.
Traumatismes d’enfance qui l’ont conduit à élaborer une pensée inédite capable d’exorciser la violence des souffrances de son enfance (mort du père à cinq ans d’une maladie du cerveau suivie de celle de son frère ainé de deux ans, six mois plus tard. Il passera son enfance entre sa grand-mère, sa mère et ses deux sœurs).
Cette pensée porte en elle les prémisses des concepts de la psychanalyse. Et toute personne ayant fait cette expérience y retrouvera ses petits, en particulier ceux qui auront surmonté la maladie.
Nous devons à Nietzsche d’avoir ouvert la voie et d’avoir plus que la psychanalyse trouvé les mots qui permettent à chacun de retrouver confiance dans la vie, d’en savourer les cadeaux de chaque instant. Il nous a offert le concept de « l’Amor Fati », seul concept capable de nous réconcilier avec les traumatismes d’enfance.
Freud, en pessimiste, plongé dans sa recherche, n’a pas su transformer l’essai, pour éclairer le chemin de l’avenir pour ses patients, d’un concept positif.
C’est avec l’aide de Nietzsche et de l’Amor Fati que chacun peut se réconcilier avec son histoire et dire « un grand oui à l’existence, à tout de la vie », comme le dit si bien Michel Onfray dans son article du Point. Je me demande si ce paragraphe n’est pas un peu pompeux mais c’est comme cela que je ressens ce que m’ont apporté ces deux grands hommes, l’un allemand, l’autre autrichien.
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