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Annie Prost - 2012
L’Angleterre fut pour moi dès ma « libération » du foyer de la DASS la première découverte d’un pays étranger. J’y allai pour la première fois en 1966, au pair, à Guildford, avec l’appétit d’une affamée, tout à mon désir de comprendre un monde différent. La première expérience ne fut pas trop positive et je rentrai en France au bout de trois semaines, me sentant exploitée par la famille qui m’obligeait à faire tout le ménage, en plus de garder les enfants, et ayant pris deux kilos à force de manger des biscuits (shortbread). Mais, déjà, j’avais été séduite par le charme verdoyant de la campagne anglaise et un climat annoncé chaque jour à la télévision riche de « sunny periods » (ce qui voulait dire quelques éclaircies entre de nombreuses averses).
Plus tard entre bourses à Cambridge et Portsmouth et visites d’amis étudiants à Londres, je me suis assez vite familiarisée avec cette culture qui me charme par ses aspects « cool », sa langue simple et directe et l’originalité indescriptible de sa mode décalée. En tant que latin, on a du mal à comprendre les moteurs de l’imaginaire anglais en termes de complémentarité des couleurs (c’est vrai que Chevreul était français) et de définition des looks les plus avancés de la mode anglaise (contrepoint sans doute à la rigidité de la tradition dans ce pays).
Nevertheless, j’aime me retrouver dans l’atmosphère londonienne et ce weekend de fin juin, j’étais tout en réceptivité de ce qui me charme dans ce pays. Le sens de la tradition anglaise se reflète toujours dans le décor londonien, petites maisons de briques, bus, pubs, restaurants bondés de jeunes buvant des bières sur les trottoirs de Soho.
Pas de modernisation anarchique comme à Paris avec des bistrots sans saveur, sous l’influence de designers médiocres. Seuls les Italiens ont envahi le centre de Londres avec des cafés Nero et autres chaines concurrentes de Starbucks. Mais là le style et le design transalpins s’intègrent parfaitement au cadre londonien, tout en apportant une alternative visuelle et gustative appréciée des visiteurs peu séduits par les saucisses / pommes de terre ou fish and chips des menus anglais.
Ce qui m’a particulièrement frappée ce weekend, c’est la différence d’atmosphère avec Paris. En contrepoint de l’agressivité qui règne dans les rues de Paris, le caractère cool de la foule des rues de Londres me ravit. C’était pourtant la période des soldes, Piccadilly, Regent et Oxford Street étaient noirs de monde, mais tout cela dans une atmosphère joyeuse et sereine. Je ne pouvais qu’apprécier le contraste avec la rue du Commerce où l’agressivité des passants me dérange, quand je ne me fais pas bousculer en allant prendre le métro à La Motte Piquet.
Je me suis fait un pèlerinage à Hampstead pour visiter la « dernière demeure de Freud » (aujourd’hui devenue un musée), quand grâce à Marie Bonaparte qui fit intervenir Roosevelt, il put quitter Vienne en 1938 après l’Anschluss avec treize autres membres de sa famille, domestiques et son médecin (quatre de ses cinq sœurs mourront en camp de concentration à Treblinka).
J’ai écrit le mot « pèlerinage » car mon premier amant habitait cette localité du nord-est de Londres (le St-Cloud local). A Grenoble, je rencontrais beaucoup d’étudiants étrangers venus faire du ski et je me sentais plus d’affinités avec eux et leurs différences qu’avec la bourgeoisie estudiantine locale …
A Hampstead, il y a dans le cimetière la tombe de Karl Marx, et je me souviens encore de mon excitation quand je me suis fait prendre en photo dans ce décor insolite (photo que j’ai déchirée depuis). Quarante ans plus tard, revenir à Hampstead pour un pèlerinage dans la dernière demeure de Freud m’a beaucoup amusée… il symbolisait vraiment le chemin et l’évolution parcourus dans mon destin que je qualifie aujourd’hui de Nietzschéen. « Comment s’élever en surhumain » (Ubermensch, et non pas Uberman c’est-à-dire Surhumain et non pas Surhomme comme l’ont traduit les mauvais philosophes français) et embrasser son « Amorfati » (l’amour de son destin) avec toute son intelligence et sa force émotionnelle de vie. La maison de Freud est la quintessence des maisons de la bourgeoisie londonienne.
Le divan originel rapporté de Vienne est à sa place dans un vieux décor 1900 de bourgeoisie viennoise. La collection de statuettes est impressionnante (reliques d’une phase anale intense de l’enfant Sigmund et de la fascination de l’adulte pour l’archéologie et l’histoire des humains).
On parle souvent de la similarité entre les moteurs psychologiques des archéologues et ceux qui entreprennent une démarche psychanalytique. N’est-ce pas une démarche similaire ? J’étais contente de faire cette visite à un de mes pères de substitution (grand avantage de l’enfant sans père, il peut se trouver des modèles paternels dans son imaginaire et faire les choix qui lui permettent de se projeter dans des modèles exempts d’images négatives), et je suis rentrée par la « Jubilee Line » le cœur joyeux.
Annie Prost - Juillet 2012
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